L’AISMT13 au Sénat sur la thématique de la santé des femmes au travail
Dans le cadre de la poursuite des travaux sur la thématique santé des femmes au travail, cinq professionnelles de santé au travail ont été invitées à participer à une table ronde pour transmettre leur analyse et leurs recommandations afin de mieux intégrer les questions de santé des femmes au sein des actions de prévention et de santé au travail et de la formation des médecins du travail notamment.
Parmi elles, Magali Chevassu, l’une des psychologues du travail à l’AISMT13, est intervenue pour partager son expertise, son expérience, son analyse mais aussi ses pistes de réflexion.
Les principaux constats à l’origine de ces travaux
- La santé des femmes est encore trop peu étudiée et peu visible dans les politiques de santé publique, hors du champ de la santé sexuelle et reproductive.
- Alors que les risques professionnels impactent de plus en plus la santé des femmes, leur exposition reste sous-estimée, notamment dans les secteurs du « care », de la grande distribution et de l’entretien.
- Les politiques de prévention tiennent insuffisamment compte des risques professionnels particuliers auxquels les femmes sont exposées.
La synthèse de la table ronde par l’AISMT13 !
Bien sûr, ces interventions et propositions émises par chacune des intervenantes, ici synthétisées, n’ont pas vocation à être considérées comme des certitudes ni comme des propositions validées. Celles-ci doivent être repositionnées dans un contexte plus global et permettront d’alimenter le travail des rapporteurs dans le cadre de cette délégation des femmes sur la thématique de la santé au travail des femmes.
Synthèse des interventions
Sur la prise en compte des risques spécifiques pour la santé des femmes au travail
Les spécificités de genre ne sont pas ou trop peu prises en compte dans les actions de prévention collective. Ce n’est « que » au niveau individuel qu’elles sont généralement considérées, débouchant ainsi sur des mesures de prévention individuelle, des aménagements de poste… Globalement, au-delà des cas précis de l’état de grossesse ou de l’allaitement, le lien entre santé et exposition professionnelle chez la femme n’est pas suffisamment développé, voire pas du tout selon les secteurs d’activité.
Ainsi, les spécificités notamment anthropométriques ou physiologiques n’entraînent aucune réflexion, par exemple, dans la conception de poste ou dans les process de travail. L’organisation du travail ou le poste lui-même ne prévoient pas de rendre tous les postes accessibles aux femmes en s’adaptant à une plus petite taille, une masse musculaire moins importante, un centre de gravité plus bas… De fait, la productivité est moindre, les évolutions de poste plus lentes voire inaccessibles et les conséquences tels que les risques psychosociaux (RPS) ou les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont plus fréquents.
Pourtant, malgré le besoin criant de considérer la santé des femmes au travail spécifiquement, certains freins persistent, notamment chez des femmes qui, au nom de l’égalité et de l’équité, refusent de distinguer les genres féminins et masculins pour éviter les discriminations.
À titre d’exemple, certains postes de nuit qui aujourd’hui prouvent leurs conséquences potentiellement néfastes sur la santé des femmes avaient été interdits en 1987 puis de nouveau autorisés dans le code du travail en 2009 pour satisfaire à des questions d’égalité !
Suite aux états généraux des femmes en décembre 2022 organisé par le collectif Femmes de Santé, un constat de sa fondatrice Alice de Maximy : « si on n’a pas compris que tout tourne autour de la charge mentale des femmes, des tabous et du sexisme intégré, des biais genrés, alors on n’a rien compris sur la santé de la femme ».
Finalement, tout ce qui est proposé aux femmes en matière de prévention et d’accès aux soins semble alourdir cette charge mentale. D’ailleurs, aujourd’hui, on parle de charge mentale médicale.
Sur la perception des risques et atteintes des salarié(e)s : différence hommes / femmes
Un constat émerge sur la base d’une étude réalisée en Normandie entre 2017 et 2019 par l’observatoire Evrest (Évolution et Relation en Santé au Travail) : les écarts entre les plaintes et les signes classiques chez les femmes et les hommes sont systématiques.
Par exemple :
- Si 29,9% des femmes sont concernées par les TMS au niveau des membres supérieurs, cela concerne 19,7% des hommes.
- Concernant les RPS rapportés précisément à la lassitude et la fatigue, 44,8% des femmes en souffrent contre 23,5% des hommes.
Bien souvent, les femmes identifient plus tôt leurs symptômes et les verbalisent : chez les hommes, quand le professionnel de santé est au courant, c’est souvent déjà à un stade bien avancé.
Selon une étude de l’Assurance Maladie en 2018 qui portait sur des affections psychiques au travail mesurées entre 2001 et 2016 : on note 66% de cas de dépression chez la femme avec un pic de survenue à 44 ans. Plus de 60% des femmes sont touchées par le burn-out.
Les situations déclenchantes peuvent d’ailleurs être aussi bien un événement brutal qu’un événement révélateur de conditions de travail.
D’autres exemples sont frappants concernant la santé des femmes au travail et leur perception de leur situation de travail, mais aussi des conséquences sur leur vie personnelle et/ou familiale :
- Dans les secteurs hospitaliers publics, certaines femmes ne peuvent plus envisager une grossesse notamment à cause des tensions liées au recrutement et aux remplacements.
- Pendant la pandémie, le télétravail a été perçue majoritairement comme une avancée pour concilier vie personnelle et professionnelle mais de nombreuses femmes ont aussi signalé que ce mode de travail n’avait pas été pensé pour une femme avec des enfants dans le contexte Covid.
Sur la question du maintien en emploi
Alors qu’en France le nombre de nouveaux cas par an de cancer reste « stable », la répartition en santé au travail n’est bien sûr pas la même. Pour le cancer du sein par exemple, le diagnostic se fait avant 63 ans contre 78 ans pour le cancer colorectal. Plus la personne est affectée jeune plus la question du maintien en emploi se pose.
Mais c’est aussi toute la question de la survie à 5 ans : 87% de chances de survie pour le cancer du sein contre 17% pour le cancer des poumons. De fait, tout cela complique ici aussi le processus de maintien en emploi et l’accompagnement qui en découle.
Sur les métiers à majorité d’emplois féminins
La violence, la pression, les agressions, le sexisme… Autant de constats néfastes que l’on retrouve dans les métiers à majorité d’emplois salariées féminines (comme le mannequinat, les métiers du soin, des services à la personne, de l’entretien…).
Cela parce-que la précarité des contrats de travail est très répandue mais aussi l’exigence élevée dans des secteurs très concurrentiels… Ces situations sont un facteur et une cause majeure de l’usure, des TMS, des RPS.
Zoom sur l’intervention de Magali Chevassu, psychologue au travail à l’AISMT13
Alors même que les psychologues du travail n’ont pas accès à une immense majorité de la population générale, Magali Chevassu a apporté un éclairage complet pour aborder cette question de la santé des femmes au travail.
Pour cela, un état des lieux de l’état de santé des femmes au travail à l’AISMT13.
Ensuite, une attention particulière a été portée sur les 6 grands facteurs de RPS tels que définis par le rapport Gollac, en liant chacun d’eux à la situation spécifique de la santé des femmes. Car, si l’idée est toujours de maximiser les facteurs de ressources pour absorber ou diminuer les facteurs de risque, la balance n’est pas toujours positive.
Prenons 2 exemples :
- Sur le facteur de l’autonomie et de la marge de manœuvre : lorsqu’elles sont employées à des postes subalternes, les femmes ont peu l’occasion d’être consultées, concertées et ont souvent le sentiment d’être « plus à l’étroit ». Au-delà, ce sont aussi des protocoles plus lourds qu’elles ont à respecter : peu de latitude pour trouver des alternatives et peu de possibilité de reconversion ou d’évolution.
- Sur le facteur des rapports sociaux et de la reconnaissance au travail : les métiers occupés majoritairement par des femmes sont souvent peu valorisés (notamment les métiers de l’entretien ou de la grande distribution) et particulièrement usants. Par la même occasion, beaucoup d’entreprises et d’employeurs dans ces catégories professionnelles ne reconnaissent que le résultat du travail et trop peu le processus en lui-même. On constate en parallèle bien souvent une sensibilité importante des femmes au manque de bienveillance.
Enfin, sur la question des modalités particulières d’expression des symptômes : les femmes mettent souvent plus en avant leurs capacités d’adaptation, leur esprit collectif, et considèrent le sentiment d’’utilité du travail comme un facteur d’épanouissement.
Pour autant, elles expriment souvent beaucoup de culpabilité et se sentent étiquetées plus fragiles.
Elles savent ceci-dit souvent mieux repérer les situations de stress et maîtrisent mieux les techniques pour l’affronter si elles y sont confrontées. La particularité du stress d’origine psychologique est aussi intéressante pour comprendre la différence d’analyse femme/homme : si l’homme surévalue la contrainte, la femme sous-évalue ses ressources.
D’autres idées à retenir :
- Les transformations psychiques profondes inhérentes à n’importe quel parcours de maternité, propres à la femme, ont beaucoup d’impacts, positifs ou négatifs (baisse de l’estime de soi, diminution du sentiment de légitimité etc.), engendrant des différences positives ou négatives sur les niveaux de tolérance face aux difficultés au travail.
- L’acceptation du vieillissement est rendue plus difficile socialement pour les femmes que l’on associe à de la fatigue (quand l’homme d’âge mur est associé à l’expérience).
- Les postes à responsabilité sont souvent dévalorisés lorsqu’ils sont occupés par des femmes: le conflit sur les représentations entre vie de famille et vie professionnelle existe et le sentiment d’illégitimité est lui aussi souvent bien visible.
Comme les autres intervenantes, Magali Chevassu a conclu sa présentation par des propositions de solutions à étudier dont certaines sont précisées ci-dessous. Elle met d’ailleurs en garde contre certaines « fausses bonnes-idées » comme par exemple l’automatisation exacerbée à l’image du voice-picking qui augmente le stress, l’isolement et le sentiment de déshumanisation.
Pour plus d’informations, regardez l’extrait de son intervention ici et/ou téléchargez sa présentation ci-après.
Pistes de réflexion proposées (ou déjà engagées)
- Passer d’une protection de la grossesse à une protection plus générale de l’enfant à naître (pour prendre en compte les intoxications chroniques par exemple) ;
- Renforcer le soutien aux mères allaitantes pour prévenir les dépressions/démotivations ;
- Changer le regard social, pour en finir, par exemple, avec le mal-être ressenti par les femmes qui reviennent au travail après un congé maternité (stigmatisation…) ;
- Développer un guide des bonnes pratiques pour le management des femmes ;
- Arrêter de parler de discrimination positive pour s’affranchir du terme discrimination en soit et instaurer une vision plus centrée sur l’équité ;
- Initier un indicateur charte mentale dans toutes les politiques de prévention ;
- Généraliser la souplesse dans les tranches horaires d’arrivée et de départ en entreprise ;
- Développer et diffuser une campagne de communication dédiée à la santé des femmes. Idée de concept : présenter des symptômes tabous de femmes qui en parlent entre elles et qui banalisent leur situation ou la justifient du fait des exemples similaires dans leur famille. Message clé : « Non, ce n’est pas normal ».
- Initier une étude de cohorte nationale avec des statistiques et analyses plus poussées permettant de déterminer des actions qui deviendraient UNE priorité d’action d’une politique de santé au travail plus globale par exemple ou en matière de santé publique ;
- Réaliser des études ergonomiques pour réviser les référentiels de conception de certains postes en tenant compte des spécificités homme/femme ;
- Porter une stratégie nationale de la santé des femmes et parler de parcours de santé en dehors de la maternité, du cancer du col de l’utérus et du cancer du sein. Rallier à cette démarche TOUS les acteurs y compris les employeurs tous secteurs confondus !
- « Genrer » la connaissance et la maîtrise des risques professionnels jusqu’à leur évaluation ;
- Lancer une étude macro-économique pour démontrer les bénéfices de la prévention aux employeurs ;
- Faire naître des référents prévention (sur le modèle des référents égalité) ;
- Mettre en place les préventions sur le temps de travail, à l’initiative de l’employeur ;
- Accompagner spécifiquement le retour à l’emploi après des arrêts maladie pour cause de cancers et favoriser la reprise de confiance en soi ;