Focus sur… l’hyperconnexion
Surcharge d’information, infobésité, surconnexion… Tout cela renvoie au phénomène d’hyperconnexion, devenu l’objet de préoccupations dans le monde du travail. Alors que la généralisation des Technologies d’Information et de Communication (TIC) a imposé l’accélération des standards de production et de procédés, avec des évolutions positives notables, la santé des salariés peut, quant à elle, être impactée négativement. Pour encadrer ce concept d’hyper-connexion, des mesures de prévention doivent être mises en place.
À quoi renvoie réellement l’hyperconnexion ? Quels sont les risques ? Que dit la réglementation et que peut-on mettre en place en matière de mesures de prévention ?
L’AISMT13 fait le point pour vous.
L’hyperconnexion… Qu’est-ce que c’est ?
Des causes et des cibles variées
Pression des objectifs, charge accrue de travail, culture de l’organisation liée à l’hyperdisponibilité… tant de dérives dans la sphère professionnelle qui tendent à devenir des normes, impactant la sphère psychologique et personnelle. Cela concerne tous les secteurs d’activité, ainsi que toutes les fonctions associées.
- Disponibilité de l’information rime avec instantanéité.
- Travail collaboratif rime avec joignabilité accrue.
- Télétravail rime avec polychronie.
- Accessibilité de l’information rime avec réactivité et fin des « temps morts ».
Bien entendu, pour les fonctions où l’ensemble des missions sont désormais reliées aux outils numériques, le risque d’hyperconnexion est d’autant plus important.
Pour autant, la majorité des travailleurs sont impactés et le risque d’hyperconnexion, quelles que soient les missions associées au poste, augmente de fait avec le niveau hiérarchique et le nombre d’interactions.
Des répercussions négatives liées aux mésusages des TIC
Pour rappel, les TIC sont définies comme des « outils qui permettent de produire, transformer ou échanger de l’information. Ils peuvent être matériels comme les ordinateurs et les téléphones portables, ou logiciels. Les réseaux, physiques ou virtuels, ainsi que les systèmes informatiques embarqués sont également considérés comme des TIC [1]. »
Ainsi, l’hyperconnexion est directement en lien avec l’émergence des TIC et, bien qu’il n’existe pas encore de définition officielle, elle renvoie à la connexion aux outils numériques perçue comme excessive au niveau temporel et au niveau quantitatif. Un phénomène qui s’est renforcé avec le travail à distance depuis la crise sanitaire.
À l’origine, les TIC ont été imaginées pour leurs bénéfices :
- Instantanéité et temps de communication interne / externe plus rapide
- Gain de productivité et de réactivité
- Rationalisation des temps morts (exemple : possibilité de travailler à distance dans les transports)
- Automatisation de certaines tâches
- Sources d’information variées et facilement accessibles : accroissement des compétences dû au système d’apprentissage 2.0
- Outils collaboratifs et flexibilité vie professionnelle / vie personnelle : autonomie
C’est la manière dont on les utilise, en particulier les mésusages des outils, par exemple des mails (recours systématique, répondre à tous) ou du travail à distance (possibilité d’accéder au travail à toute heure ou en tout lieu), qui comprend des risques.
Ces outils peuvent en effet générer des risques psychosociaux car ils participent à l’intensification du travail, à l’accélération des rythmes de travail et au sentiment d’urgence, à la surcharge d’information. Sur ce dernier cas, c’est ainsi que l’expression « infobésité » est née, en référence au « fait de recevoir plus d’informations qu’il n’est possible d’en traiter »[2].
[1] L’impact des TIC en question, Travail & Sécurité, juin 2013
[2] Infobésité, gros risques et vrais remèdes, Caroline Sauvajol-Rialland, L’Expansion Management Review 2014/1 (N° 152)
L’hyperconnexion : connaissez-vous les risques ?
Au niveau de l’entreprise
- Exigences au travail : augmentation du rythme et de l’intensité du travail, augmentation de la pression temporelle, hypersollicitation et augmentation du temps de connexion, interruptions et fragmentations répétées du travail, porosité entre vie privée et vie professionnelle…
- Autonomie au travail : contrôle renforcé de l’activité pouvant entraîner une baisse d’autonomie ou, à l’inverse, absence de limites dans les usages ou les directives…
- Relations au travail : diminution des contacts réels, troubles dans la communication (incompréhensions et mauvaises interprétations), délitement du collectif de travail, dégradation des relations de travail…
- Conflits de valeurs : perte du sens du travail par manque de moyens ou à travers la modification des pratiques professionnelles…
Au niveau individuel
- Physiques : troubles musculo-squelettiques, sédentarité (réduction de la pratique d’activités physiques, prise de poids), troubles du sommeil (lumière bleue et informations anxiogènes), troubles visuels, troubles de l’hygiène alimentaire, fatigue…
- Psychologiques : stress chronique, burn out, dépression, angoisse, dépendance, diminution de la confiance et l’estime de soi (par exemple si les outils ne sont pas maitrisés ou si l’obligation de réactivité imposée n’est pas aussi bien remplie qu’on aurait pensé pouvoir le faire), …
- Cognitifs : troubles de l’attention et de la concentration, troubles du traitement de l’information (diminution des capacités de mémorisation avec « l’effet Google » (tendance à oublier plus facilement des informations facilement accessibles) ; baisse du pouvoir de prise de décisions avec le phénomène du TMO « Too Much Information » qui entraîne une charge cognitive excessive et diminue l’agilité de l’organisation). Ces troubles cognitifs sont évidemment très influencés par le passage de proactif à réactif.
- Sociaux : repli sur soi, isolement, altération de la communication, déséquilibre vie professionnelle / vie personnelle
L’hyperconnexion et ses dérives addictives : zoom sur la cyberdépendance
L’usage excessif d’Internet et des outils numériques est souvent comparé à une addiction, même si c’est un phénomène émergent qui ne fait pas encore consensus au niveau scientifique. On parle ainsi de « cyberdépendance » pour qualifier l’impossibilité de contrôler son usage d’Internet entraînant une perturbation de la santé de l’individu.
Les conduites addictives sont issues de la rencontre entre un individu, un produit, et un environnement donné. En ce sens l’environnement professionnel peut favoriser le développement d’une conduite addictive à travers une incitation aux usages numériques, par exemple par une pression sur les objectifs, une culture de l’entreprise, des relations internationales avec un décalage horaire…
C’est pourquoi les risques liés aux usages numériques doivent absolument être évalués, suivis et intégrés dans votre Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels (DUERP). Ce sera le moteur vers une véritable démarche de prévention, avec à l’appui, l’application de mesures de prévention individuelles et collectives.
L’hyperconnexion et la réglementation : où en est-on ?
Le même règlement que pour tous les autres risques s’applique : l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (article L 4121-1 du Code du Travail), et il se doit d’évaluer les risques en termes de résultats et plus seulement de moyens (article L 4121-3 du Code du Travail).
La Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels introduit le droit à la déconnexion.
Ce droit permet au salarié de ne pas devoir ou avoir le sentiment de devoir utiliser ses outils numériques en dehors de son temps de travail.
Cependant, il faut que les modalités d’exercice de ce droit soient définies :
- Soit à travers les négociations avec le délégué syndical pour les entreprises qui en disposent,
- Soit dans les dispositions de la charte mise en place spécifiquement pour en prévoir sa mise en œuvre.
Pour autant, si ce droit existe, c’est en contrepartie d’un devoir : celui des managers qui doivent intégrer une logique de coresponsabilité. Cette gestion collective par les entreprises est encore trop peu répandue.
41% des salariés estiment qu’aucune action a été mise en place pour accompagner les transformations du travail liées à l’évolution des outils numériques professionnels. *[1
* OpinionWay pour Eleas – Impact des outils numériques professionnels sur les salariés – Novembre 2018.pdf
L’hyperconnexion : quelles mesures de prévention ?
Des mesures managériales doivent être déployées, aussi bien du point de vue technique qu’auprès de l’émetteur extérieur, pour favoriser la régulation.
Pour conclure et vous proposer des pistes de réflexion pour agir sur l’hyperconnexion, sachez que différents types de mesures à portée plus organisationnelles peuvent être mises en place, à déployer au niveau collectif en priorité, et au niveau individuel pour compléter.
En voici quelques exemples, non exhaustifs :
Au niveau de l’employeur
- Former et sensibiliser aux usages des outils numériques.
- Réaliser un diagnostic interne des usages numériques.
- Réfléchir aux mesures organisationnelles dans la mesure où l’hyperconnexion peut aussi être le symptôme d’exposition aux risques psychosociaux : relation client, obligation d’immédiateté…
- Privilégier une régulation par le collectif de travail :
- Susciter des échanges en interne et de manière participative sur les bonnes pratiques d’usages numériques ;
- Permettre une réflexion collective afin de mettre en place des stratégies de régulation entre l’individu et le collectif. Les règles sont plus facilement respectées, acceptées lorsqu’elles ont été identifiées, déterminées au regard du fonctionnement et de l’activité du collectif de travail.
- Établir une charte de déconnexion ou un accord.
- Privilégier des modes de communication présentiels.
Au niveau du salarié
Attention à ne pas réduire l’hyperconnexion à une question d’usage individuel, la priorité est de penser la prévention au niveau collectif. Néanmoins, il existe des moyens de préventions individuels :
- Le filtrage : favoriser le mode « silencieux », désactiver mode « push », retourner son smartphone pour ne plus voir l’écran ou répondre uniquement aux sollicitations dont le sujet doit être traité en priorité…
- La préservation : mettre en place un temps sans technologie ou sans connexion, qui permet de se recentrer. Dans la sphère du travail, les individus s’accordent un temps sans autoriser l’émergence de sollicitations, que ce soit virtuellement (mode absent des logiciels de communication instantanée…) ou physiquement (pièce sans téléphone…)[1].
[1] Félio, 2013 / Boudokhane-Lima & Felio, 2015
Des fiches à votre disposition
En savoir plus
- Hyperconnexion : addiction au numérique | Support de prévention de ST Provence
- Les outils numériques (ON) au travail à l’usage des honnêtes gens : Connaître les impacts de la numérisation du travail pour maitriser les risques de l’hyperconnexion | Poster utilisé lors d’un congrès de médecins mis en page par Présanse